La Haute Route, entre Merveilles et Gordolasque - Jour 1
L'été se finit dans des chaleurs d'apocalypse et le seul moyen que j'ai trouvé pour retrouver un peu de fraîcheur, c'est de faire le récit de trois belles journées passées entre la Haute Gordolasque, la Vallée des Merveilles et les 3000 de la frontière franco-italienne...
C'était donc le 04 août 2012.
Je passais un bout de vacances en Val d'Allos et j'ai donné rendez-vous à mon pote Laurent à Saint-André les Alpes, pour que nous partions ensemble réaliser un beau trip de 3 jours en haute montagne, avec pour objectif 3 grands sommets des Alpes Maritimes, le Grand Capelet (2935m), le Clapier (3045m) et le Gélas, le plus élevé, point culminant de ce grand secteur de montagnes (3143m)...
Après deux bonnes heures de route et déjà pas mal de fous rires et de conneries racontées, nous voilà parvenus au Pont des Countets, là où s'arrête le ruban de bitume qui remonte la splendide vallée de la Gordolasque depuis le village bien nommé de Belvédère...
Curieusement, le parking est quasiment plein et on galère pour trouver une place. Par contre, en dépit du monde qui va et qui vient, les framboisiers sont pleins de fruits magnifiques et excellents ! Une question ne trouvera jamais de réponse : Mais pourquoi les framboises ne sont-elles pas mangées vu qu'elles sont en évidence à peine sorti des voitures ??
Framboises...
Le temps de se chausser et d'envoyer les sacs sur le dos, nous traversons le torrent pour aller récupérer le sentier du Pas de l'Arpette, via le vallon de l'Empuorame ...
Il fait déjà bien chaud. Nous grimpons pourtant sur un versant ombragé, assez rocheux, où je constate avec stupéfaction que la flore a déjà beaucoup souffert de la sècheresse estivale ; la plupart des espèces qui devraient être encore en fleur ont déjà fleuri depuis longtemps et les feuilles sont grillées par le soleil, donnant un aspect globalement jaunâtre à l'ensemble du côteau...
Seuls les aconits ont tenu leurs dernières fleurs bleues, cachant sous des pétales de velours leur poison mortel.
Aconit variegatum, aux fleurs mortellement belles
Plus haut dans la montée, deux chamois avancent parmi les blocs de granit, brouttant ça et là de maigres touffes d'herbes encore vertes.
Chamois, dans le Vallon d'Empuorame
Enfin, au bout d'un bel effort, nous atteignons le premier replat de l'ascension. La vallée s'ouvre, constellée de rhododendrons qui ne sont plus en fleurs depuis longtemps. L'horrible serpent de fer d'une énorme conduite forcée vient gâcher un peu la beauté du paysage. J'explique à Laurent qu'elle récupère les eaux du Lac de la Fous (que nous longerons le surlendemain) par un très long tunnel percé au coeur de la montagne, pour alimenter plus bas dans la vallée une petite centrale électrique...
En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas au bout de nos peines car le Pas de l'Arpette est encore bien plus loin, plus haut...
Laurent, sur le premier replat de la longue montée vers le Pas de l'Arpette
Nous ne sommes pas seuls (mais ça, le parking surchargé le laissait raisonnablement supposer !) et de nombreux randonneurs vont et viennent dans cette haute vallée. Je sais que nous trouverons la quiétude recherchée plus haut, lorsque nous quitterons les sentiers battus pour grimper au sommet du Grand Capelet...
Quelques chamois et des centaines de pas plus loin, nous arrivons enfin au Pas de l'Arpette. Là, la vue bascule sur l'est et notamment sur le splendide Lac Long qui ouvre la porte de la Vallée des Merveilles.
Les Lacs Long supérieur et inférieur qui ouvrent la porte de la Vallée des Merveilles
Mais pour aujourd'hui, point de "Merveille" en vue car en fait, notre itinéraire n'emprunte pas le sentier surpeuplé de cette vallée si réputée. Nous allons nous élever le long de la crête occidentale de la célèbre vallée pour contourner la Roche des Merveilles, puis le Pas des Conques et pour grimper enfin d'un coup vers le point culminant du site, le Grand Capelet.
La Cime des Conques que nous franchirons par la droite
Nous commençons par nous élever jusqu'à une combe, juste sous la Cime des Conques ; il existe une vague trace, que nous suivons au mieux. De temps à autre, une brèche dans la ligne de crête nous permet de voir la Vallée des Merveilles, juste en contrebas. Le sentier qui la parcourt est le seul que les randonneurs peuvent emprunter librement. Malheur à celui qui s'en écarte car le risque d'être interpellé par un garde du Parc ou par un agent de surveillance est très grand. En effet, toute la zone de la Vallée des Merveilles est une zone protégée dans laquelle l'accès n'est permis qu'accompagné par un AMM (Accompagnateur en Montagne) ou un agent du parc !!
Laurent et moi, en limite de crête, sommes aussi à la limite de la légalité mais quoiqu'il en soit, il n'y a aucun autre moyen de réaliser l'ascension de la face est du Grand Capelet que d'aller côtoyer de très près cette zonre de protection !!!
Face à nous, de l'autre côté de la Vallée, l'austère Mont Bégo trône là comme un viel ours assoupi. Sa silhouette massive n'est pas très impressionnante sous cet angle là. Pourtant, vu du Clapier par exemple, il en impose et on comprend bien mieux pourquoi les bergers de l'antiquité et des temps qui ont suivi le considéraient avec effroi, pensant qu'il était la demeure de dieux impitoyables...
L'un des deux Lacs des Conques, la Vallée des Merveilles et le Mont Bégo
Au-dessus du Pas des Conques, nous faisons une halte pour déjeuner. Le repas sera frugal, du moins en ce qui me concerne, car j'ai allégé mon sac au maximum et mes portions sont minimales. Laurent, je ne sais trop comment, a réussi à avoir un sac d'un poids correct alors même qu'il n'a pas lésiné sur la nourriture. Je le vois sortir de là une banane et tout un tas de boustifaille bien pesante !!
Le soleil tape mais l'air reste assez vif car nous sommes à 2700m d'altitude. Laurent fera sa sempiternelle petite sieste avant de reprendre la marche. De mon côté, je cherche les fleurs rares et les chamois...
Chamois, près et autour des Lacs des Conques
Les presque 500 derniers mètres de D+ seront franchis avec un peu de difficulté. La trace monte droit dans la pente, tantôt dans des pelouses rases d'altitude, tantôt dans des blocs de roches. Au-dessous de nous, d'immenses dalles de granit que teintent en un bel orangé les oxydes de fer, se déroulent jusqu'à la Vallée des Merveilles, abritant les Lacs des Conques et quelques chamois épars. Le paysage est merveilleux et grandiose.
La Face par où on gravit le Grand Capelet en venant du Pas de l'Arpette
Laurent, dans la montée au Grand Capelet
Enfin, après avoir gravi une ultime pente où surgissent de ci, de là, quelques roches abritant des cristaux de quartz chloriteux, nous atteignons le sommet...
Cristaux de Quartz chloriteux
Laurent, dans les derniers passages rocheux qui mènent au sommet
La vue est magnifique. Laurent découvre les splendeurs de cette région sauvage où les Alpes s'en vont rejoindre la mer. Pour ma part, je suis déjà venu ici plusieurs fois - j'ai gravi le Grand Capelet pour la dernière fois il y a 4 ans.
D'ici, je peux enfin montrer à Laurent la suite de notre parcours (enfin, une bonne partie) ; il découvre ainsi le Clapier et son sommet caillouteux très arrondi, la Malédie, vertigineuse aiguille de pierre du moins vue sous cet angle, et bien sûr le Gélas qui nous montre la face par lequel nous devrons le gravir après-demain...
Le Clapier (3045m), vu depuis le Grand Capelet
La Malédie, vue depuis le Grand Capelet
Le Gélas (3143m) et sa fameuse terrasse où subsiste un névé
Passée la traditionnelle séance photo pour nous immortaliser au sommet, nous commençons la descente.
Le temps a tourné et des entrées d'air maritime viennent copieusement ennuager les cieux. Ce n'est pas de l'orage, inutile de trouver un abri...
La descente du Grand Capelet propose un itinéraire ludique, jamais dangereux à condition d'avoir une bonne visibilité. En fait, l'itinéraire emprunte de belles vires naturelles, bien cairnées, qui permettent de perdre rapidement de l'altitude et de rejoindre les hauteurs de la Baisse de Valmasque, le col qui ferme au nord la Vallée des Merveilles.
Laurent, dans la descente du Grand Capelet
J'y retrouve avec joie quelques pieds de la très rare Viola argentera, une petite violette d'un mauve pâle très délicat, une endémique de la région.
Viola argentera...
Puis c'est l'interminable descente pour passer au nord de la Baisse de Valmasque, totalement hors sentier, qui nous oblige à louvoyer sans cesse pour éviter de traîtresses barres rocheuses. A partir d'ici, nous commençons à rencontrer les bouquetins. Pour Laurent, ce sont les tout premiers.
Les éboulis interminables qui permettent d'aller vers le Lac du Basto
Plus de 40 mn plus tard, nous rejoignons enfin le sentier qui mène à la Baisse du Basto. Nous le prenons en direction de la Baisse de Valmasque afin de revenir au-dessus des rives du vaste Lac du Basto. Là, un éterlou (jeune bouquetin) joue avec ses ainés et j'en profite pour faire une belle série de photographies malgré une mauvaise lumière ...
Un éterlou, jeune bouquetin
A ce moment-là de notre randonnée, Laurent et moi sommes complètement déshydratés et à court d'eau depuis le sommet du Grand Capelet. Vu qu'il n'y a pas eu assez de neige et que la pluie s'est vraiment faite attendre sur les Alpes du sud cette année, la plupart des sources sont taries, le niveau des lacs est désastreusement bas et toute la nature est assoiffée.
Par chance, nous rencontrons enfin une maigre résurgence qui glougloute un temps avant de retourner se perdre sous la terre quelques mètres plus bas. Nous y remplissons nos Camelbacks avec empressement et nous buvons longuement de grandes goûlées glacées !
Je réalise que les bouquetins ne sont pas là par hasard ; eux aussi sont ici pour l'eau !
Grand mâle bouquetin
Nous ne les dérangeons pas longtemps et reprenons notre marche d'un pas un peu fatigué. Cela fait déjà 7 heures que nous marchons, dont les deux tiers sur du hors piste très rocheux...
Et le sentier qui borde le Lac du Basto ne va pas nous épargner : Pensant bien faire pour mieux empêcher l'érosion des nuées de marcheurs qui passent ici chaque été, de curieux artisans ont entrepris de paver le sentier avec les pierres trouvées localement... Le résultat n'est à la hauteur d'aucune espérance tant le pavage plus qu'inégal rend la progression particulièrement difficile !!
Les rives du Lac du Basto
Enfin, nous arrivons au petit barrage qui ferme le Lac du Basto et commençons à descendre sur le Lac Noir (pourquoi noir ?? Nous n'en savons rien !!).
Le vaste Lac du Basto avec au fond la Baisse de Valmasque
Il est quasiment 18h30 et il nous faut songer à trouver un lieu pour monter la tente.
Nous le trouvons enfin, sur une sorte de presqu'île qui s'avance dans le lac. La vue y est superbe et l'endroit très apaisant.
Rapidement, la tente est montée, les matelas et les duvets installés.
Le campement du premier soir
Et puis, soudain, Laurent sort de son sac à dos une fiole de pastis et je comprends que ce sera une belle et bonne soirée !!! J'ai quelques tranches de saucissons, il a quelques chips ; l'apéro se profile sous son meilleur angle !!! Et que dire de l'eau, glaciale comme l'aime le bon pastis !
La fatigue aidant, nous commençons à rigoler de tout, de rien, laissant une douce euphorie alcoolisée nous gagner doucement ! Au bout de trois pastis, ni Laurent ni moi ne comprenons plus rien ! Faut dire qu'ils les a corsés le saligaud !!
Bon, rien de bien grave, nous n'irons pas plus loin ce soir que là où nous sommes assis !
Le divin breuvage !!
Comme prévu, la soirée fut bonne et belle ; à un détail près cependant...
Et oui, comment ne pas parler des plats lyophilisés que nous avons emmené pour assurer nos deux repas du soir !!? Comment expliquer à quelqu'un qui n'a jamais avalé une nourriture lyophilisée à quoi cela peut ressembler ? comment vous faire prendre conscience de ces textures étranges et parfois répugnantes ce que l'on trouve dans ces portions toutes prêtes ?!!
Le pire, c'est quand l'eau chaude n'a pas suffisamment envahi la poudre sèche qui constitue le plat ; car dans ce cas-là, passées les premières bouchées relativement comestibles, on en vient à ramener dans sa cuillère une mixture surtout constituée d'une poudre très salée, très épicée, qui constitue le fond du plat et qui est propremment immangeable et qu'on recrache en s'étouffant à moitié, pulvérisant le mélange aux quatre coins du campement !!!
Bref, le lyophilisé, ça mérite deux fois plus d'eau chaude que ce qui est préconisé sur l'étiquette et ça demande surtout d'être absolument affamé pour oser se nourrir ainsi !!!
En attendant que le lyophilisé "travaille" à l'eau chaude !
Repus (ou pas!!), nous finissons la soirée allongés sur une grande dalle de granit, à regarder tomber la nuit. Les premières étoiles commencent à scintiller doucement : Véga, l'Alpha de la Lyre, puis Deneb, du Cygne et enfin Altaïr, l'Alpha de l'Aigle, les trois formant le Triangle Boréal. Puis, lentement, apparaissent les "classiques" : La Grande Ourse avec son système d'étoiles doubles, Alcor et Mizar, Cassiopée et son grand "W" céleste, Andromède, le Bouvier, etc.
On s'endord presque en les observant, réveillé de temps à autre par l'éclat fugace d'une étoile filante...
Puis, lorsque c'est vraiment trop dur de rester éveillé, on file se coucher pour une bonne nuit réparatrice...
La suite des photos, c'est sur Picasa !
https://picasaweb.google.com/104675165079638287183/Gordolasque45Et6082012
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