Le Paradis, La purge à boire et l'enfer blanc ...
Ce n'est pas parce qu'on est en vacance qu'on est obligé de partir à l'autre bout du monde ...
On n'est pas obligé de partir du tout, d'ailleurs ...
Mais en ce qui me concerne, pas question de rester dans l'atmosphère surchauffée de mon petit logis quand j'ai la possibilité d'aller me peler les os à moins d'une heure de route de la maison !!!
C'est comme ça que je me suis décidé, en ce froid mercredi de février, le 27 pour être précis, d'aller traîner mes semelles dans les solitudes hivernales de la Sainte-Baume enneigée ...
Et oui, car pour la seconde fois en moins de 15 jours, un manteau blanc, épais et glacial s'est abattu de nouveau sur le massif. Il ne me reste plus qu'à sortir mes habits chauds et à filer jusqu'au Plan d'Aups ...
La route est belle et pleine de surprises ...
En contrebas de la route qui monte au plan d'Aups
Brebis
Il est déjà 9h40 quand je stationne sur le petit parking. Sous mes roues, la glace crisse.
Autour, tout est blanc, gris et vert. La muraille imposante de la face nord me domine, austère, glaciale et plâtrée de neige. J'ai l'impression d'être en montagne !!
Depuis le parking, les barres de la face nord enneigée.
Je claque la portière et me mets en route pour le Sentier Merveilleux.
Autour de moi, les oiseaux chantent et volent d'arbres en arbres. Il faut dire qu'ici, la lumière du soleil éclaire le paysage. J'en profite un peu car je sais que, sitôt le sentier commencé, je serai à l'ombre pour un très long moment ...
Là-haut, sur la crête, le soleil frôle le sommet des falaises, en jouant à cache-cache avec moi ...
Le soleil arpente les crêtes en faisant scintiller les arbres givrés.
Tant pis, je choisis d'entrer dans le royaume de l'ombre, là où tout est bleuté, tout est froid, tout est figé ...
La Source de Ravel, au départ du Sentier merveilleux.
Je n'ai fait que quelques pas mais déjà les oiseaux se sont tus. Il n'y a plus que le bruit de mes pas, rompant la glace sous la neige et j'ai l'impression de broyer des milliers de gaufres ! Difficile avec tout ce raffut de surprendre un animal !
Je marche inlassablement entre les grands ifs, les sapins et les hêtres. Les conifères sont chargés de neige, les nouveaux bourgeons poussent sur les hêtres. Étonnant mélange des saisons !
Sur le Sentier merveilleux.
De temps à autres, quelques grives disputent aux merles des baies de lierre ou quelques graines échouées. Ailleurs, ce sont les pics qui martèlent le bois, toujours à la recherche de larves sous l'écorce. Je vois de nombreuses traces, notamment celles de renards, de chevreuils, de sanglier mais aussi de lièvre. Pour qui sait la lire, la neige est une page d'écriture où s'écrivent les heures de la vie sauvage ...
Un If qu'un Pic a commencé à "travailler" !
Empreinte de chevreuil.
Empreinte de sanglier.
Empreintes d'écureuil.
Empreintes de renard.
Par contre, j'ai la chance de faire la trace ce matin ; personne n'a emprunté le Sentier Merveilleux depuis que la neige est tombée.
Je rencontre d'étranges arbres aux allures curieuses ...
Anthropomorphisme ?
Croisements.
J'entends parfois des bruits furtifs, échappées rapides de quelques petits mammifères. Ailleurs, c'est de la neige qui tombe lourdement d'une ramure trop chargée.
Il me faudra plus d'une heure trente pour rejoindre le Carrefour du Gros Hêtre. Sur la piste terminale qui y mène, je découvre des traces de ski !! pourquoi pas ?!
Traces de ski sur la piste terminale.
Au Carrefour, contre toute attente dans ce monde immobile, je m'entends héler. C'est un autre randonneur qui fait une halte ici et qui engage la conversation. Nous discutons de tout, de rien puis je repars vers le Pas de l'Aï par un sentier tout en lacets.
Le Bau de Saint-Cassien, en montant au Pas de l'Aï.
Le Bau de Saint-Cassien me domine, les crêtes orientales de la Sainte-Baume me surplombent et je me sens tout petit au fond de la combe que je m'efforce de gravir !
La marche dans la neige est fatigante mais l'ivresse qu'elle procure semble décupler les forces et je monte d'un bon pas vers le Paradis ...
Bau de Saint-Cassien.
Oui, oui, c'est bien vers le Paradis que je m'élève peu à peu mais un Paradis des bons vivants, un Paradis qu'il faut conquérir "ad pedibus" et non "post mortem", un Paradis en coin, un Paradis sans porte !!
Le Paradis, c'est une gorge puis un replat caché au regard des hommes d'en-bas. pour l'atteindre, il faut s'élever (ça, ça paraît normal !!), se perdre un peu, entrer par un étroit sentier dans un défilé de roche et surgir tout soudain sur un petit plateau qui domine le monde !!
Mais aujourd'hui, ce n'est sans doute le Paradis que des ours polaires et des manchots empereurs ! La neige y est venue; elle a pris l'étroit sentier, l'a tapissé de blanc, a figé le décor ...
un vrai "paradis blanc !"
Placages de neige sur la Gorge du Paradis.
Je reste sur le seuil de ce monde secret. Aujourd'hui, je n'irai pas y perdre mes pas. Aujourd'hui, je vais grimper sur la crête par le Pas de l'Aï (l'âne en provençal !). C'est que justement, aujourd'hui plus que jamais, j'ai un peu de mal à imaginer un âne dans ce passage d'ordinaire escarpé et aujourd'hui très enneigé !!!
L'itinéraire d'accès au Pas de l'Aï.
Le Pas de l'Aï, copieusement enneigé !
D'ailleurs, aucune trace d'homme ne s'y trouve ce matin, rien que les petites empreintes d'un renard sans doute affamé !
Le passage n'est pas bien difficile, malaisé tout au plus. La neige et la glace le rendent un peu plus dur. il ne faut pas glisser.
En parvenant sur la crête, le soleil m'éblouit. D'ailleurs, l'astre du jour a déjà bien oeuvré ça et là ; la neige, si abondante jusque là, se fait plus rare sous sa douce lumière.
Je prends le temps de laisser vaguer mon regard vers l'horizon lointain. Au sud, c'est la mer, grise, métallique, sous de gros bancs de nuages ternes. Au nord, par delà les plaines, ce sont les Alpes, blanche barrière en dents de scie qui ferme le septentrion ...
Sur les crêtes.
Devant moi, loin sur la crête, quelqu'un marche et me précède.
Une silhouette se découpe sur la crête.
J'entreprends dès lors le long voyage de retour, aérien et venté, en me tenant dès que c'est possible sur la ligne de crête, à dominer l'abîme ...
Au bord du vide.
Tout en bas, l'immense forêt est nue ; ce n'est qu'une armée de troncs gris et lisses, gendarmés ça et là par la touffe vert glauque d'un gros conifère. Mais sous la canopée enfuie, c'est la neige qui couvre tout, traçant les sentiers, les pistes, les passages ...
Une neige abondante en limite de la crête.
J'avance, marchant sur le roc brut, sur la neige craquante. La flore est grise, endormie, piquante là où le genêt de Loebel étale ses coussins acérés.
Soudain, une minuscule tâche de violet pâle attire mon regard ; c'est un crocus, le tout premier. Son unique fleur vient d'éclore pour marquer la fin de l'hiver, calice coloré qui s'éveille à la vie d'un printemps nouveau ...
Crocus.
D'ici, qu'il est loin le monde des hommes, le monde du bruit et des machines. Là, sur les crêtes drapées de blanc, je n'entends que le souffle du vent qui vole sur la terre ...
La corniche supérieure, toute blanche.
Une soif soudaine assèche mon gosier. Je pose mon sac, sors ma vieille gourde toute cabossée d'avoir tant bourlingué et me prépare à boire tout mon saoul ... Seulement voilà, rien ne coule !! Un magnifique bouchon de glace s'est formé au goulot et, lui présent, impossible d'accéder à l'eau salvatrice ! Il me faudra quelques minutes pour refouler le glaçon à l'aide d'un bâton, quelques autres pour réchauffer la gourde et enfin, je peux boire une eau si froide que mes gencives se rétractent !
Encore quelques pas cotonneux et c'est le Bau des Béguines (1148m), l'un des deux sommets jumeaux du massif. Ce n'est pas un sommet remarquable. Un petit cairn marque la petite éminence rocheuse.
Le Bau des Béguines (1148m).
J'y retrouve l'âme errante vue plus tôt, un homme qui me ressemble, un passionné de grands espaces. Nous échangeons quelques mots. Il connaît parfaitement le massif, l'arpente très souvent. Plusieurs fois déjà, il y a surpris les chamois lâchés là voici quelques années. Il me parle aussi d'un loup qui rôde entre Signes et Mazaugues ... Le berger de Taillane est craintif ...
Nous nous séparons, nos chemins divergent ; lui redescend vers l'est, moi, je poursuit ma route sur les crêtes, vers le Col du Saint-Pilon, encore distant.
La crête s'enfuit vers l'est, avec le Bau des Béguines en point haut.
En marchant, je repense à ce loup, à ces chamois ... Le monde ne change pas qu'en mal.
Lorsqu'enfant j'arpentais ces collines dans les pas de mon père, elles n'abritaient que le sanglier et le lièvre. Y parler du retour du loup, c'eut été s'exposer à la raillerie des Varois !! Quant aux chamois, personne n'aurait osé parier 100F sur la possibilité d'une réintroduction ailleurs qu'en montagne !!
J'en étais à ces réflexions quand la pyramide rocheuse du Jouc de l'Aigle, le second sommet jumeau, a surgi devant moi.
La pyramide caractéristique du Jouc de l'Aigle (1148m).
Cette fois-ci, j'ai davantage l'impression de conquérir un vrai sommet. La neige et la glace rende l'ascension un peu plus glissante qu'à l'ordinaire mais grimper tout là-haut reste très facile.
Le passage pour redescendre depuis le Jouc de l'Aigle.
Il me faut à présent trouver un passage pour descendre. Lorsqu'il n'y a pas de neige, les échappatoires depuis le sommet sont nombreux moyennant quelques pas d'escalade faciles mais aujourd'hui, c'est un peu plus compliqué.
Je trouve enfin le passage, par une pente de neige raide et descend rejoindre l'une des corniches de la face nord, copieusement chargée de neige poudreuse.
Retour sur la corniche supérieure.
On enfonce bien !!
Le cheminement sauvage de la corniche supérieure.
Il ne me reste qu'à longer les barres, suspendu entre le vide et la ligne de crête, sur des sentiers de velours blanc. J'ai l'espoir d'y croiser quelques animaux mais non, je n'en vois que leurs traces errantes ...
Dernier coup d'oeil au Jouc de l'Aigle, tout là-haut !
Au-dessus des barres.
Pas à pas, je marche vers l'ouest. Le Col du Saint-Pilon apparaît enfin en contrebas.
Une dernière échappée vers une petite grotte repérée jadis et je me promets de filer au plus vite vers le Col.
Grotte miniature !
L'entrée de la cavité est tapissée de neige ; j'y découvre avec un sourire les traces d'un renard qui y mènent puis s'en vont. En cherchant un peu, je trouve un joli petit nid, suspendu dans le rocher. De peur de déranger un éventuel occupant, je n'y touche pas et reprends ma route sur la corniche blanche.
Un nid bien douillet pour survivre à l'hiver !
Enfin, après deux heures de temps passé à arpenter les crêtes, j'arrive au Col du Saint-Pilon. Il ne me reste plus qu'à emprunter le large chemin qui descend dans la sombre forêt.
La pente en est raide et le sol verglacé ; je marche, tant que faire se peut, sur le côté du chemin, là où la neige est plus épaisse.
La montée très enneigée au Col du Saint-pilon !!
Du côté de la descente !!
Peu à peu, sur ce chemin de pèlerinage, je me mets à croiser du monde. Des gens ordinaires, venus là avec l'espoir de monter jusqu'à la "Baume", malgré la neige, la glace, le froid ... Mais bien peu sont ceux qui ont pensé à bien se chausser et la plupart abandonnent bien vite. Quand c'est l'enfer blanc qui empêche les âmes d'accéder au lieu saint, l'habit fait bien le moine !!
Heureux, serein et alerte, je laisse derrière moi le monde d'en-haut, la forêt, les crêtes et la neige. Déjà, devant moi, s'étend la chaude lumière du printemps annoncé ...
A découvrir aussi
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 43 autres membres